«Salut les Happy fans! La vie est douce, la vie est belle, la vie est fan-tas-tique»! C’est avec cette rengaine – et un enthousiasme surjoué – que Kimmy, 5 ans, et sa mère, Mélanie Diore, commencent chacune de leurs vidéos sur leur chaîne «Happy Récré». Tous les jours, ou presque, elles relèvent des challenges rigolos, déballent des montagnes de cadeaux et se mettent en scène dans un univers ludique et acidulé, pour le plus grand plaisir de leurs millions d’abonnés. Jusqu’à ce que la petite fille disparaisse subitement, victime d’un kidnapping dans le parking de son immeuble…
Les lecteurs de Delphine deVigan auront reconnu l’intrigue du livre Les enfants sont rois, paru en2021. Un roman sur le phénomène des enfants influenceurs que Disney+adapte en série, mise en ligne ce mercredi. Porté par Doria Tillier et Géraldine Nakache, ce thriller teinté de critique sociétale sensibilise sur les dérives de la surexposition des plus jeunes sur les réseaux sociaux.
Une galerie de suspects et une responsabilité collective
Au cœur de l’histoire, il y a bien entendu cette question centrale: qui souhaite faire du mal à la petite Kimmy, véritable star d’Internet? Au fil des six épisodes, les suspects se succèdent dans l’enquête menée par l’inspectrice Sara Roussel. Vengeance? Jalousie? Pédocriminalité? Les pistes sont multiples. «La série est un thriller, il y a des suspects et une réponse donnée à la fin. Mais ce qui était important pour nous était aussi de faire ressentir une responsabilité collective au travers cette galerie de portraits assez sombres et infernaux», explique Victor Rodenbach, cocréateur de la série.
La fiction entremêle les personnages, parents influenceurs, éducateurs, entourage proche, comme autant de menaces qui planent sur cette enfant livrée en pâture quotidiennement dans des vidéos. «Tous les gens qui gravitent autour de cette chaîne, mais aussi ses spectateurs et consommateurs, sont des gens effrayants. Ils ont tous une part d’humanité, une grande solitude qui peut être très émouvante, mais aussi beaucoup de poison», note le réalisateur.
La série pointe les dangers de l’exposition de son quotidien sur les réseaux sociaux: l’atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de ces enfants, le consentement, le droit à l’image, le vol des données par des réseaux pédocriminels… Il y a aussi la question de la responsabilité de ces adultes qui montent tout un business autour de leur famille.
«Parmi les personnages, certains disent que Mélanie Diore expose sa fille à outrance mais qu’elle passe aussi tout son temps avec elle, quand d’autres parents ne sont pas avec leurs enfants. C’était intéressant d’avancer avec tous ces personnages en contradiction permanente. La série n’est pas du tout dans le jugement, ça nous permet d’avoir cette réflexion sur les dérives de tout cela», estime pour sa part Fanny Riedberger, productrice de la série.
Une série sur «la quête de soi»
C’est aussi le portrait d’une époque, de la course aux likes, d’un emballement médiatique et de deux femmes engluées dans un tourbillon d’images et d’informations. D’un côté Mélanie Diore, sous les traits de Doria Tillier, une maman influenceuse, fan de téléréalité et en quête d’amour et de gloire. De l’autre, Sara Roussel, incarnée par Géraldine Nakache, une inspectrice taiseuse, introvertie, à mille lieues du monde des «Happy fans».
Pour Victor Rodenbach, «chacune à sa manière, a du mal à découvrir qui elle est vraiment. L’une parce qu’elle se montre trop et se construit une identité qui n’est pas la sienne sur les réseaux. L’autre parce qu’elle disparaît complètement derrière son travail, cache ses névroses, ses problèmes et refuse de se regarder en face.»
«C’est aussi une série sur la quête de soi, ajoute la scénariste Judith Havas. Cette relation entre la mère de la petite fille et la policière est authentique, et vient en contrepoint avec les réseaux où l’on se perd un peu, qui sont toujours une manière de se mettre en scène.»
Se pose également la question de l’authenticité, de l’image que l’on projette de soi sur les réseaux sociaux. Un sujet d’autant plus délicat lorsqu’il s’agit des enfants. «Quand tu les exhibes, tu leur demandes clairement ou tacitement de jouer un petit rôle. De ne pas être exactement les mêmes, d’être un peu plus souriants, de bonne humeur… Tu leur apprends très tôt à mentir», souligne l’actrice Doria Tillier. Un exercice d’autant plus vertigineux pour la jeune comédienne Vittoria Andreoli, qui joue Kimmy dans la série.
«Entre les vraies fausses vidéos [de la chaîne fictive "Happy Récré"] et son rôle de petite fille, elle devait faire une gymnastique pour jouer différemment. Par exemple, dans les vidéos pour vendre et faire de la pub, on devait lui expliquer que c’était un débit et un rythme différent», explique Géraldine Nakache.
«Contaminé à vie?»
A l’image du livre de Delphine deVigan, la série Les enfants sont rois interroge forcément notre propre rapport aux réseaux sociaux, ce qu’on y cherche ou montre. Mais aussi ce que l’on veut transmettre (ou non) aux générations à venir. «J’ai un problème avec le fait que je consomme trop de réseaux sociaux, à mon sens, estime de son côté Géraldine Nakache. Je regarde trop de trucs sur Instagram. C’est un sujet parce qu’il me semble que l’éducation, c’est d’abord l’exemplarité. Comment vais-je dire à mes enfants, plus tard, qu’il ne faut peut-être pas y aller aussi souvent que moi?»
Quid de l’avenir de cette jeune génération qui baigne dans les écrans et de ces enfants dont le quotidien et l’intimité sont mis en scène par leurs parents? «Comment s’en sort-on? Est-on contaminé ou fracassé à vie? On ne peut pas avoir une enfance comme ça sans conséquences», s’inquiète la productrice de cette fiction. Autant de réflexions vertigineuses qui pourraient faire l’objet d’une deuxième saison.